La preuve est un élément essentiel du droit. Chaque personne qui prétend détenir un droit doit le prouver. Cette approche est mise en avant dans l’adage « idem est non esse et non probari » qui signifie « ne pas pouvoir prouver son droit équivaut à ne pas avoir de droit » .
La preuve est l’établissement de la réalité d’un fait ou de l’existence d’un acte juridique. Il peut également s’agir du moyen matériel utilisé pour prouver ses prétentions.
Lorsque les moyens de preuve sont prévus par la loi, la preuve est dite légale. Si les moyens de preuve ne sont pas prévus par la loi, la preuve est dite libre ou morale.
En fonction du domaine juridique, civil ou pénal, le régime de la preuve diffère.
La preuve dans un procès civil peut s’établir par tout moyen. La preuve est souvent un écrit papier ou électronique (contrat, facture, SMS, courrier électronique, captures d’écran, photographies etc.). La preuve peut être un acte authentique (établi par un officier public), un acte sous seing privé (acte rédigé entre les particuliers portant la signature des parties), le témoignage écrit ou oral d’un tiers ou encore des indices.
Devant le juge civil certains principes entourant la preuve doivent être respectés. L’un de ses principes est la loyauté dans l’administration de la preuve.
Au cœur du système judiciaire moderne se trouve le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, un concept crucial qui garantit l’équité et la justice dans le processus judiciaire. Cet article vise à explorer les contours de ce principe, en soulignant son importance et ses implications pratiques dans le domaine juridique.
Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ne découle pas d’un texte de loi. En effet, les articles régissant la preuve ne mentionne pas la loyauté de la preuve.
Ainsi l’article 9 du Code de procédure civil dispose : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
L’article 1353 du Code civil dispose : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».
C’est la Cour de cassation qui a consacré cette notion dans un arrêt de principe.
Dans l’arrêt du 7 janvier 2011 (Cour de cassation, assemblée plénière, pourvoi 09-14.316 et 09-14.667) la Cour de cassation, se basant sur l’article 9 du Code de procédure civil et de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et sur le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, a censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
En l’espèce, la question posée était de savoir si des enregistrements obtenus à l’insu de la personne enregistrée pouvaient être produits comme preuve durant le procès. La Cour d’appel n’avait pas écarté les enregistrements malgré leurs obtentions de manière déloyale.
La Cour de cassation reconnaît un « droit à la preuve », c’est la possibilité données aux parties à un procès de présenter leurs preuves. En posant le principe de loyauté dans l’administration de la preuve dans son arrêt de 2011, la Cour de cassation a cherché à trouver un équilibre entre le droit à la preuve et la garantie de l’éthique du débat judiciaire et le respect du principe au droit fondamental à un procès équitable.
Pour rappel, le premier paragraphe de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, qui pose les bases d’un procès équitable, dispose que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».
Ainsi, à la suite de cette jurisprudence, une preuve obtenue de manière déloyale pouvait être écartée et pas prise en compte par le juge. Cela dans le but de protéger certains droits fondamentaux des justiciables (comme la vie privée ou le secret professionnel).
Dans un arrêt du 22 décembre 2023 (pourvoi n° 20-20.648 et pourvoi 21-11.330), la Cour de cassation réunie en assemblée plénière, a opéré un changement dans sa position sur la loyauté de la preuve.
En effet, la question qui se posait devant la Cour était de savoir si des enregistrements sonores effectués à l’insu d’une personne, pouvaient être recevables comme moyen de preuve devant le juge.
En application de la jurisprudence, issue de l’arrêt de la Cour de cassation de 2011 précédemment cité et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve qui en découle, la Cour d’appel a déclaré ces preuves irrecevables.
Cependant la Cour de cassation, dans un revirement de jurisprudence, a estimé que des moyens de preuves déloyaux peuvent être présentés à un juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits des justiciables. La condition posée par la Cour est le fait que cette prise en compte des preuves « déloyales » soit indispensable dans l’affaire et que cela ne porte pas d’atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse.
Plusieurs éléments peuvent expliquer ce revirement de jurisprudence.
Tout d’abord il s’agit pour la Cour de prendre en compte les évolutions de la technologie qui ouvrent de nouvelles possibilités et apportent plus de facilité aux justiciables pour se prémunir de preuves. Ensuite il s’agit pour la Cour de s’aligner sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
En effet, dans l’affaire Lopez Ribalda et autres c. Espagne du 17 octobre 2019, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la question de savoir: si des enregistrements vidéos pouvaient être admis comme preuves, sachant que les plaignantes ignorées être filmées, sans qu’il soit porté atteinte à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour précise qu’elle « n’a donc pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’illégalité en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation ».
La Cour estime que pour savoir si l’élément de preuve contrevient à l’article 6 de la Convention EDH il faut vérifier « si les droits de la défense ont été respectés et quelles sont la qualité et l’importance des éléments en question. Il convient de rechercher en particulier si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude ».
Ces principes avaient été élaborés par la Cour européenne dans un contexte pénal mais elle considère, qu’en l’espèce, ils sont applicables dans l’affaire civile.
Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve est un pilier fondamental du droit procédural. Il garantit que la quête de la vérité judiciaire se déroule dans un cadre éthique et équitable, essentiel pour maintenir la confiance dans le système judiciaire. Son respect constant est impératif pour assurer la justesse et l’équité des procédures judiciaires. Cependant les évolutions technologiques bouleversent ce principe. Il sera dorénavant admis que, dans certains cas spécifiques et dans des conditions très particulières, une preuve déloyale soit admise dans un procès devant le juge civil.
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