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Prise illégale d’intérêts : guide complet

La prise illégale d’intérêts constitue l’un des délits les plus redoutés par les élus locaux et les agents publics en France. Ce délit peut avoir des conséquences dévastatrices sur une carrière et entraîner de lourdes sanctions. Dans un contexte de vigilance accrue concernant l’intégrité de la vie publique, comprendre les contours de cette infraction est devenu indispensable.

Qu’est-ce que le délit de prise illégale d’intérêts ?

Définition selon l’article 432-12 du Code pénal

La prise illégale d’intérêts est définie par l’article 432-12 du Code pénal comme le fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public, « de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. »

Les éléments constitutifs de l’infraction

Pour caractériser le délit de prise illégale d’intérêts, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  1. La qualité de l’auteur : la personne concernée doit être dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public.
  2. Un élément matériel : la personne doit avoir pris, reçu ou conservé un intérêt dans une entreprise ou une opération.
  3. Un élément moral : contrairement à d’autres délits qui exigent une intention frauduleuse, la prise illégale d’intérêts est un délit intentionnel qui nécessite simplement la conscience de prendre un intérêt dans une opération dont on a la surveillance.

L’originalité et la sévérité de cette infraction résident principalement dans deux aspects : sa portée préventive (elle sanctionne le risque de partialité, même sans enrichissement personnel) et sa caractérisation sans nécessité de démontrer un préjudice pour la collectivité.

L’évolution de la notion d' »intérêt » : de l' »intérêt quelconque » à la compromission de l’impartialité

La notion d' »intérêt quelconque » a longtemps constitué le cœur de ce délit et sa principale source de difficulté interprétative. Historiquement, les tribunaux ont retenu une conception extrêmement large de cette notion.

L’interprétation traditionnellement extensive

Jusqu’à récemment, la jurisprudence retenait une conception particulièrement large de l’intérêt :

  • Intérêt matériel ou moral
  • Intérêt direct ou indirect
  • Intérêt positif (gain) ou négatif (évitement d’une perte)
  • Sans considération de l’importance de l’avantage obtenu

Cette interprétation extensive a conduit à des situations où des élus locaux se sont retrouvés condamnés pour des faits sans intention frauduleuse ou enrichissement personnel, comme la participation à une délibération concernant une association dont ils étaient membres bénévoles.

La réforme de 2021 : un recentrage nécessaire

La doctrine a largement critiqué cette interprétation particulièrement large donnée par la jurisprudence à la notion d' »intérêt quelconque ». Ces critiques se faisaient au nom du respect des principes de précision et de prévisibilité de la loi pénale.

Cette situation a conduit à une forme d’insécurité juridique pour les élus locaux, notamment dans les petites communes où les élus entretiennent naturellement des liens multiples avec le tissu local.

Face aux critiques croissantes sur l’insécurité juridique pesant sur les élus locaux, le législateur est intervenu avec la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Cette réforme a modifié l’article 432-12 du Code pénal en précisant que l’intérêt pris, reçu ou conservé doit être « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité » de la personne.

Cette nouvelle rédaction vise à :

  • Recentrer le délit sur son objectif initial : prévenir les conflits d’intérêts
  • Exclure les situations où l’impartialité n’est pas réellement menacée
  • Sécuriser juridiquement l’action des décideurs publics

Ce recadrage législatif traduit un équilibre recherché entre l’impératif de probité publique et la nécessité de ne pas entraver l’action des décideurs publics par une crainte excessive des poursuites.

Quelles sont les personnes concernées par la prise illégale d’intérêts ?

Le champ d’application personnel du délit de prise illégale d’intérêts est vaste et concerne trois catégories de personnes :

  1. Les personnes dépositaires de l’autorité publique : magistrats, policiers, préfets, etc.
  2. Les personnes chargées d’une mission de service public : notaires, administrateurs judiciaires, etc.
  3. Les personnes investies d’un mandat électif public : maires, conseillers municipaux, parlementaires, etc.

Le cas particulier des petites communes

Le législateur a prévu une exception notable pour les communes de moins de 3 500 habitants. L’article 432-12 alinéa 2 du Code pénal prévoit que « dans les communes comptant 3 500 habitants au plus, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 euros. »

Cette exception vise à tenir compte des réalités des petites communes où il peut être difficile d’éviter tout lien économique entre les élus et la collectivité. Toutefois, elle est strictement encadrée et ne concerne que certains contrats limitativement énumérés.

Mesures de prévention efficaces

Pour éviter les risques liés à la prise illégale d’intérêts, plusieurs mesures préventives s’imposent :

  1. Le déport : la principale mesure préventive consiste, pour l’élu ou l’agent, à s’abstenir de participer à toute délibération, décision ou opération dans laquelle il pourrait avoir un intérêt. Cette pratique implique de quitter la salle pendant les délibérations concernées et de le faire consigner dans le procès-verbal.
  2. La transparence : la déclaration préalable des intérêts susceptibles de créer un conflit constitue une protection efficace. Les élus soumis à l’obligation de déclaration d’intérêts auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique doivent être particulièrement vigilants.
  3. La mise en place de procédures internes : les collectivités peuvent instaurer des procédures de détection et de gestion des conflits d’intérêts potentiels, ainsi que des formations spécifiques pour leurs élus et agents.

Sanctions pénales et conséquences du délit de prise illégale d’intérêts

Les sanctions prévues pour ce délit sont particulièrement sévères, reflétant l’importance accordée par le législateur à l’intégrité publique.

Sanctions principales

L’article 432-12 du Code pénal prévoit des sanctions lourdes :

  • Cinq ans d’emprisonnement
  • 500 000 euros d’amende, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction

Peines complémentaires

Aux sanctions principales peuvent s’ajouter des peines complémentaires :

  • L’interdiction des droits civiques, civils et de famille
  • L’interdiction d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise
  • La confiscation des sommes ou objets irrégulièrement reçus par l’auteur de l’infraction
  • L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée

Conséquences sur la carrière et l’image

Au-delà des sanctions pénales, une condamnation pour prise illégale d’intérêts entraîne :

  • La fin du mandat électif (inéligibilité)
  • Des dommages durables sur la réputation personnelle et professionnelle
  • Une atteinte à la crédibilité de l’institution concernée
  • D’éventuelles poursuites civiles pour réparation du préjudice causé

La durée de prescription de l’action publique pour ce délit est de six ans à compter de la découverte des faits, ce qui expose les élus et agents à des poursuites longtemps après les faits.

Bonnes pratiques pour prévenir et gérer les risques de conflits d’intérêts

La prise illégale d’intérêts représente un risque juridique majeur pour les élus locaux et les agents publics. Si la réforme de 2021 a apporté une clarification bienvenue en recentrant le délit sur l’atteinte à l’impartialité, elle n’en a pas diminué la portée fondamentale.

Pour se prémunir efficacement contre ce risque, quelques bonnes pratiques s’imposent :

  1. Identifier systématiquement les situations à risque : tout décideur public doit s’interroger régulièrement sur ses liens d’intérêt avec les dossiers qu’il traite.
  2. Pratiquer le déport de manière préventive : en cas de doute, s’abstenir de participer aux délibérations concernées constitue la meilleure protection.
  3. Documenter les décisions : consigner par écrit les motifs des décisions, notamment celles pouvant soulever des questions d’impartialité.
  4. Se former et s’informer : la connaissance précise des règles juridiques et de la jurisprudence permet d’anticiper les risques.
  5. Consulter en cas de doute : solliciter l’avis du déontologue de la collectivité ou d’un conseil juridique spécialisé peut s’avérer précieux dans les situations complexes.

La prévention des conflits d’intérêts ne doit pas être perçue comme une contrainte paralysante, mais comme un élément essentiel de la gouvernance publique moderne. Elle contribue à sécuriser juridiquement l’action des décideurs publics et à renforcer la confiance des citoyens dans leurs institutions.

La juste application du délit de prise illégale d’intérêts, équilibrée entre rigueur nécessaire et pragmatisme, constitue ainsi un enjeu majeur pour l’éthique de la vie publique et le bon fonctionnement de notre démocratie.

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