Le devoir conjugal est un sujet qui suscite de plus en plus d’attention en droit français et européen. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a récemment rendu un arrêt important dans l’affaire H.W. c. France (requête n°13805/21), qui remet en cause la notion de devoir conjugal telle qu’elle était traditionnellement envisagée en France.
Cet article revient sur les faits de l’affaire, la procédure suivie, la décision de la CEDH et son impact sur la jurisprudence française. Cette évolution jurisprudentielle remet en question les principes relatifs au respect de la vie privée, à la liberté sexuelle et au consentement dans le mariage.
Définition du devoir conjugal en France
En droit français, le devoir conjugal s’inscrit dans un ensemble d’obligations légales liées au mariage. Traditionnellement, il implique pour les époux (articles 212 et suivants du Code civil) :
- le devoir de communauté de vie ;
- le devoir de fidélité ;
- le devoir d’assistance et de respect mutuel ;
- et, selon la jurisprudence constante, le devoir d’entretenir des relations intimes.
Jusqu’à présent, la Cour de cassation a pu considérer que l’abstention prolongée de relations sexuelles, non justifiée par des raisons médicales, pouvait constituer une faute et justifier un divorce pour faute. Cette jurisprudence, ancienne mais constante, confère une portée bien définie au devoir conjugal.
L’affaire H.W. c. France : faits et procédure
Rappel des faits
Dans l’affaire H.W. c. France, la requérante, Mme H.W., est une ressortissante française née en 1955, qui a entamé une procédure de divorce en 2012. À la base, chacun des époux imputait à l’autre des manquements à ses obligations matrimoniales. L’époux de Mme H.W. l’accusait notamment de s’être soustraite au devoir conjugal pendant plusieurs années.
En première instance, le juge aux affaires familiales avait finalement prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal, estimant que les motifs invoqués n’étaient pas suffisamment caractérisés pour un divorce pour faute.
La décision des juridictions internes
En appel, la cour d’appel de Versailles a néanmoins infirmé ce jugement et prononcé le divorce aux torts exclusifs de Mme H.W., considérant que son refus prolongé d’avoir des relations intimes constituait une « violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune ». La Cour de cassation a ensuite rejeté le pourvoi de l’épouse, estimant que le moyen soulevé par la requérante n’était pas de nature à entraîner la cassation.
La jurisprudence française sur le devoir conjugal avant l’arrêt H.W. c. France
Avant cet arrêt important de la CEDH, la jurisprudence française reposait sur une conception traditionnellement ancrée du mariage. Ainsi :
- le refus prolongé de relations intimes pouvait constituer une faute justifiant le divorce ;
- l’existence d’un devoir conjugal reposait sur l’idée qu’en contractant mariage, les époux s’engagent à maintenir une relation sexuelle dans la mesure du possible.
La position de la CEDH dans l’arrêt H.W. c. France
Violation de l’article 8 de la Convention
La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la réaffirmation du devoir conjugal et la décision de prononcer le divorce aux torts exclusifs de Mme H.W. au motif qu’elle avait cessé toute relation sexuelle avec son époux constituaient des ingérences dans :
- le droit au respect de la vie privée de la requérante ;
- sa liberté sexuelle ;
- son droit de disposer de son corps.
Selon la CEDH, cette obligation imposée par le droit interne français, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, ne prend pas en compte la nécessité d’un consentement à chaque relation sexuelle. La Cour rappelle qu’un acte sexuel non consenti relève de la violence sexuelle (viol conjugal), et qu’aucun mariage ne peut valoir consentement perpétuel.
Une approche centrée sur la protection de la vie privée et le consentement
La CEDH souligne que l’application stricte du devoir conjugal est contraire à l’exigence de respecter la liberté sexuelle de chacun des époux et le droit de disposer de son corps.
Ainsi, la Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.
Les conséquences de l’arrêt H.W. c. France sur le devoir conjugal
Cette jurisprudence de la CEDH invite désormais la France à reconsidérer l’interprétation du devoir conjugal. Les points marquants sont les suivants :
- Respect de la vie privée et de la liberté sexuelle : l’arrêt H.W. c. France insiste sur le fait que la liberté sexuelle et le droit de disposer de son corps sont essentiels et ne s’éteignent pas par le simple fait du mariage.
- Évolution de la jurisprudence nationale : les juridictions internes devront probablement ajuster leur pratique pour être en conformité avec la jurisprudence de la CEDH.
En définitive, cet arrêt marque un tournant dans la manière d’envisager les obligations conjugales et confirme la volonté de la Cour européenne de faire primer la liberté individuelle et le consentement.
Résumé des points clés
- L’affaire H.W. c. France concerne un divorce prononcé aux torts exclusifs de l’épouse pour non-respect du devoir conjugal.
- La CEDH a relevé une violation de l’article 8 de la Convention (vie privée et familiale), estimant que la réaffirmation du devoir conjugal méconnaît le consentement et la liberté sexuelle.
- La Cour rappelle que le consentement sexuel doit être librement donné à chaque fois, même dans le cadre du mariage.
- La décision aura un impact direct sur la jurisprudence française. Les tribunaux devront privilégier le respect de la vie privée et la liberté de chacun des époux.
- Cette évolution est perçue comme une avancée pour la protection contre les violences sexuelles et la préservation de l’autonomie corporelle.
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