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Comprendre la procédure Dublin : État responsable, transfert et recours

La procédure Dublin constitue l’un des piliers du système d’asile européen. Elle détermine quel État membre est responsable de l’examen d’une demande de protection internationale. Ce mécanisme, souvent complexe et source d’inquiétude pour de nombreux demandeurs d’asile, mérite d’être expliqué en détail. Que vous soyez concerné personnellement, que vous accompagniez un proche dans cette situation ou que vous cherchiez simplement à comprendre ce dispositif, cet article vous propose un éclairage complet sur les règles, les droits et les recours possibles dans le cadre de la procédure Dublin.

Qu’est-ce que la procédure Dublin ? Principes et fondements juridiques

La procédure Dublin, issue du règlement Dublin III adopté en 2013 (Règlement UE n°604/2013), établit les critères et mécanismes permettant de déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale. L’objectif principal est d’éviter que des demandeurs d’asile ne déposent des demandes dans plusieurs pays européens simultanément (phénomène appelé « asylum shopping ») et de garantir qu’au moins un État membre traite chaque demande.

Ce règlement s’applique à l’ensemble des États membres de l’Union européenne ainsi qu’à l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein. Son principe fondamental repose sur la responsabilité unique : une seule demande d’asile peut être examinée par un seul État membre.

Le texte définit également la notion de « dubliné », terme désignant un demandeur d’asile soumis à la procédure Dublin et susceptible d’être transféré vers un autre État membre considéré comme responsable de sa demande.

Détermination de l’État responsable par la préfecture

Lorsqu’une personne souhaite demander l’asile en France, la préfecture doit d’abord déterminer si la France est bien l’État responsable de cette demande selon les critères du règlement Dublin.

Enregistrement de la demande et consultation des fichiers

Lors de l’enregistrement au Guichet Unique pour Demandeur d’Asile (GUDA), les autorités procèdent à la prise des empreintes digitales du demandeur pour consultation du fichier Eurodac. Ce système européen centralise les empreintes digitales des demandeurs d’asile et des personnes ayant franchi irrégulièrement une frontière extérieure de l’UE.

La préfecture consulte également le système d’information sur les visas (VIS) pour vérifier si la personne a obtenu un visa pour un autre État membre. Ces vérifications permettent d’identifier si le demandeur a déjà été enregistré dans un autre pays européen.

Entretien individuel et droit à l’information

Un entretien individuel doit être organisé pour recueillir les informations permettant de déterminer l’État responsable. Cet entretien doit se dérouler dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend.

Lors de cet entretien, le demandeur d’asile a le droit d’être informé des objectifs de la procédure Dublin, des critères de détermination, de la hiérarchie de ces critères et des différentes étapes du processus. Des brochures d’information doivent être mises à sa disposition dans une langue qu’il comprend.

Critères hiérarchiques de détermination de l’État responsable

Le règlement Dublin établit une hiérarchie précise des critères pour déterminer l’État responsable, dans l’ordre suivant :

  1. Critères familiaux : présence de membres de la famille du demandeur dans un État membre (notamment pour les mineurs non accompagnés dont l’intérêt supérieur est primordial) 2. Titre de séjour ou visa : l’État ayant délivré un titre de séjour ou un visa en cours de validité 3. Entrée ou séjour : l’État par lequel le demandeur est entré irrégulièrement dans l’espace Dublin (preuve valable 12 mois) 4. Entrée sans visa : l’État ayant exempté le demandeur de visa 5. Demande dans une zone de transit aéroportuaire : l’État dans lequel la demande a été déposée

À défaut d’application de ces critères, le premier État membre dans lequel la demande d’asile a été introduite devient responsable de son examen.

Différence entre prise en charge et reprise en charge

Le règlement distingue deux situations :

  • La prise en charge : lorsqu’un demandeur dépose pour la première fois une demande d’asile en France, mais qu’un autre État est responsable selon les critères Dublin
  • La reprise en charge : lorsqu’un demandeur a déjà déposé une demande d’asile dans un autre État membre et se trouve ensuite en France

Les procédures et délais diffèrent légèrement entre ces deux situations, bien que le résultat final puisse être similaire : le transfert vers l’État responsable.

Déroulement de la procédure Dublin

Délais de saisine et de réponse

Lorsque la préfecture identifie un autre État comme potentiellement responsable, elle doit le saisir dans des délais précis :

  • Délai de 3 mois à compter de l’introduction de la demande d’asile pour une requête de prise en charge
  • Délai de 2 mois si la requête est basée sur des données Eurodac
  • Délai de 3 mois pour une reprise en charge sans données Eurodac

L’État saisi doit répondre dans un délai de :

  • 2 mois pour une requête de prise en charge
  • 1 mois pour une requête urgente
  • 2 semaines pour une reprise en charge avec données Eurodac

L’absence de réponse dans ces délais équivaut à une acceptation tacite par l’État requis.

Notification de la décision de transfert

Si l’État saisi accepte sa responsabilité, la préfecture notifie au demandeur une décision de transfert indiquant :

  • L’État responsable
  • Les motifs de la décision
  • Les délais de mise en œuvre
  • Les voies et délais de recours

Cette notification doit être accompagnée d’un laissez-passer et préciser les modalités pratiques du transfert.

Modalités et délais de transfert

Le transfert doit être réalisé dans un délai de 6 mois à compter de l’acceptation de l’État responsable. Ce délai peut être prolongé à 12 mois si la personne est incarcérée ou à 18 mois si elle est considérée comme « en fuite ».

Les modalités de transfert peuvent être :

  • Le départ volontaire du demandeur vers l’État responsable
  • Le transfert sous escorte organisé par la préfecture

Durant cette période, le demandeur conserve généralement le bénéfice des conditions matérielles d’accueil (hébergement et allocation pour demandeur d’asile), sauf en cas de fuite.

Situations particulières et dérogations au transfert

Cas spécifiques des mineurs

La situation des mineurs, particulièrement des mineurs non accompagnés, fait l’objet d’une attention spéciale dans le règlement Dublin. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

Pour les mineurs non accompagnés, l’État responsable est celui où se trouve légalement un membre de la famille ou un proche, à condition que ce soit dans l’intérêt supérieur du mineur. À défaut, l’État responsable est celui où le mineur a introduit sa demande.

Pour les mineurs accompagnés, ils suivent généralement le sort de leurs parents ou du membre de la famille qui les accompagne.

Clauses humanitaires et clauses discrétionnaires

Le règlement Dublin prévoit deux types de clauses permettant des dérogations :

  • La clause humanitaire (article 16) : permet de rapprocher des personnes pour des raisons humanitaires, notamment familiales ou culturelles
  • Les clauses discrétionnaires (article 17) : permettent à un État membre de décider d’examiner une demande d’asile même s’il n’en est pas responsable selon les critères Dublin

Ces clauses offrent une certaine flexibilité dans l’application du règlement, notamment pour des raisons humanitaires ou de santé graves.

Défaillances systémiques d’un État membre

L’article 3-2 du règlement prévoit qu’un transfert ne peut être effectué s’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il existe dans l’État responsable des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant.

Cette disposition, confirmée par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), peut être invoquée pour contester un transfert vers certains pays ayant des systèmes d’asile déficients.

La notion de « fuite » et ses conséquences

Définition de la fuite selon la jurisprudence

La « fuite » dans le cadre de la procédure Dublin correspond à une situation où le demandeur d’asile se soustrait délibérément aux autorités pour faire obstacle à son transfert. La jurisprudence du Conseil d’État a précisé cette notion : elle doit résulter d’un acte volontaire et délibéré, et non d’une simple négligence.

Peuvent être considérés comme des indices de fuite :

  • L’absence à plusieurs convocations consécutives sans motif légitime
  • Le non-respect d’une assignation à résidence
  • Le changement d’adresse sans en informer les autorités

Impact sur les délais et les droits

La qualification de « fuite » a des conséquences importantes :

  • Prolongation du délai de transfert de 6 à 18 mois
  • Possible suspension des conditions matérielles d’accueil (allocation et hébergement)
  • Possible placement en rétention administrative

Ces conséquences sévères font de la notion de fuite un enjeu majeur dans les contentieux liés à la procédure Dublin.

Les recours contre les décisions prises en procédure Dublin

Recours suspensif contre la décision de transfert

Le demandeur d’asile sous procédure Dublin peut contester la décision de transfert devant le tribunal administratif dans un délai de 15 jours suivant la notification (7 jours en cas de placement en rétention ou d’assignation à résidence).

Ce recours est suspensif, ce qui signifie que le transfert ne peut pas être exécuté avant que le tribunal ne se soit prononcé. Le tribunal doit statuer dans un délai de 15 jours (ou 72 heures en cas d’urgence).

Les principaux motifs pouvant être invoqués sont :

  • Le non-respect des critères du règlement Dublin
  • L’expiration des délais de procédure
  • L’existence de défaillances systémiques dans l’État responsable
  • Des situations personnelles ou familiales particulières

Recours contre l’assignation à résidence

L’assignation à résidence, souvent utilisée pour éviter la « fuite » du demandeur, peut également faire l’objet d’un recours distinct devant le tribunal administratif. Ce recours n’est pas suspensif et doit être introduit dans un délai de 48 heures suivant la notification.

Conséquences d’un recours sur la procédure et les délais

L’introduction d’un recours a plusieurs effets sur la procédure :

  • Suspension de l’exécution du transfert pendant l’examen du recours
  • Maintien des conditions matérielles d’accueil durant cette période
  • Prolongation possible des délais de transfert en cas de rejet du recours

Si le tribunal annule la décision de transfert, la préfecture doit enregistrer la demande d’asile en procédure normale ou accélérée, permettant ainsi l’examen de la demande par l’OFPRA.

Le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile : quels changements pour Dublin ?

En septembre 2020, la Commission européenne a présenté un nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile visant à réformer le système actuel, y compris le règlement Dublin. Les principales innovations proposées concernant la procédure Dublin sont :

  • Un mécanisme de solidarité obligatoire entre États membres
  • Une procédure de filtrage préalable aux frontières
  • Un lien renforcé entre asile et retour
  • Une meilleure prise en compte des vulnérabilités
  • Une répartition plus équitable des responsabilités

Bien que ce Pacte soit encore en cours de négociation, il pourrait significativement modifier les règles actuelles de la procédure Dublin dans les années à venir, notamment en introduisant un système de « parrainage de retour » comme alternative à la relocalisation des demandeurs d’asile.

Conseils pratiques et ressources d’aide

Face à la complexité de la procédure Dublin, plusieurs conseils peuvent être utiles :

  • Conserver tous les documents liés à la procédure (attestations, convocations, décisions)
  • Respecter scrupuleusement les convocations en préfecture
  • Signaler tout changement d’adresse aux autorités
  • Préparer l’entretien Dublin en rassemblant les éléments pouvant justifier d’une dérogation (santé, famille, etc.)
  • Ne pas hésiter à solliciter l’aide juridique gratuite

De nombreuses associations spécialisées peuvent accompagner les personnes en procédure Dublin :

  • La Cimade
  • Gisti
  • France Terre d’Asile
  • Forum Réfugiés
  • Les permanences d’accès au droit des barreaux locaux

Ces organisations proposent souvent des permanences juridiques gratuites et peuvent orienter vers des avocats spécialisés en droit des étrangers.

Conclusion

La procédure Dublin, mécanisme central du système d’asile européen, est un dispositif complexe qui détermine quel État est responsable d’examiner une demande de protection internationale. Ses règles strictes, ses délais précis et ses critères hiérarchiques visent à rationaliser le traitement des demandes d’asile au sein de l’espace européen.

Malgré les critiques dont elle fait l’objet, notamment concernant l’inégale répartition des responsabilités entre États membres et les difficultés rencontrées par les demandeurs d’asile, la procédure Dublin reste le cadre de référence en attendant l’adoption éventuelle du nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile.

Pour les personnes concernées, connaître ses droits, comprendre les mécanismes de recours et s’entourer de conseils professionnels sont des éléments essentiels pour naviguer au mieux dans cette procédure et faire valoir efficacement leurs droits fondamentaux.

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