L’achat d’un véhicule d’occasion est un moment décisif pour tout automobiliste. L’acheteur investit une somme parfois conséquente et s’attend à ce que le professionnel fournisse toutes les informations exactes et fiables sur l’état du véhicule, son historique et son kilométrage.
Or, la fraude au compteur kilométrique est une pratique ancienne mais toujours d’actualité. Elle consiste à réduire artificiellement le nombre de kilomètres parcourus afin de surévaluer le prix de vente du véhicule. La question juridique qui se pose est alors la suivante : le vendeur professionnel est-il responsable du seul fait de l’inexactitude du kilométrage certifié, même sans preuve de sa faute ?
La jurisprudence récente a apporté une réponse décisive qui renforce la protection des consommateurs. Pour bien comprendre cette évolution, il convient d’analyser le régime de la responsabilité contractuelle, la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat, et l’alignement progressif du régime applicable au garagiste réparateur sur celui du revendeur certifiant le kilométrage.
📌 Responsabilité contractuelle : rappel des principes généraux
En droit français, la responsabilité contractuelle repose sur trois conditions classiques :
- Un manquement contractuel (ex. exécution imparfaite de l’obligation).
- Un dommage subi par le créancier (ex. perte financière, véhicule dévalorisé).
- Un lien de causalité entre le manquement et le dommage.
En principe, la victime doit démontrer la faute du débiteur pour engager sa responsabilité. Cependant, ce principe connaît des aménagements dans certaines professions, où la jurisprudence a consacré des obligations de résultat.
⚖️ Obligation de moyens vs obligation de résultat
La distinction est fondamentale :
- Obligation de moyens : le professionnel doit mettre en œuvre tous les moyens nécessaires mais ne garantit pas le résultat. Exemple : le médecin.
- Obligation de résultat : le professionnel doit atteindre un résultat déterminé, et son échec engage automatiquement sa responsabilité. Exemple : le transporteur qui doit livrer un colis à l’adresse prévue.
Pour le consommateur, l’obligation de résultat est beaucoup plus protectrice car elle inverse la charge de la preuve.
🛠️ Le précédent jurisprudentiel : la responsabilité du garagiste
Depuis plusieurs années, la Cour de cassation impose au garagiste réparateur une double présomption de faute et de causalité. Cela signifie que si une panne apparaît ou persiste après son intervention, il est réputé fautif, sans que le client ait à démontrer l’origine précise du problème.
- Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732 et n° 20-18.867 : la Cour confirme que le garagiste est responsable des désordres postérieurs à son intervention, même si la cause exacte reste incertaine.
- Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712 : la première chambre civile rappelle que l’incertitude sur l’origine d’une panne ne suffit pas à écarter la présomption de responsabilité du garagiste.
Ces arrêts consacrent une véritable obligation de résultat pour le garagiste, renforçant la confiance du consommateur.
🚗 Extension à la certification du kilométrage par un revendeur professionnel
La question s’est posée : un revendeur automobile qui certifie le kilométrage d’un véhicule d’occasion doit-il répondre selon le même régime que le garagiste ?
Jusqu’alors, la jurisprudence se concentrait surtout sur les obligations du garagiste réparateur, sans se prononcer clairement sur le cas spécifique du kilométrage certifié. Pourtant, la logique est proche :
- Le consommateur confie à un professionnel le soin de lui garantir une donnée objective et vérifiable.
- Le résultat attendu est l’exactitude du kilométrage.
- Si ce résultat n’est pas atteint, la confiance est rompue et le préjudice est certain.
🏛️ La décision clé : Civ. 1re, 26 février 2025, n° 23-22.201
Dans un arrêt récent et marquant, la Cour de cassation a censuré une décision de cour d’appel qui avait exigé de l’acheteur la preuve d’une faute du concessionnaire ayant certifié un kilométrage erroné.
👉 La Haute juridiction a posé le principe suivant :
Le professionnel qui certifie le kilométrage d’un véhicule d’occasion est tenu d’une obligation de résultat.
En conséquence :
- L’acheteur n’a plus à prouver la faute.
- Le simple constat que le kilométrage est inexact engage la responsabilité du vendeur.
- L’argument tiré d’une fraude antérieure (commise par un ancien propriétaire) est inopérant : le professionnel reste responsable vis-à-vis de son client.
🔍 Analyse de la solution : une présomption irréfragable de responsabilité ?
Cet arrêt rapproche la situation du revendeur certifiant le kilométrage de celle du garagiste réparateur.
Points communs :
- Existence d’un résultat objectivement vérifiable (panne réparée / kilométrage exact).
- Attente légitime du client quant à la fiabilité du professionnel.
- Volonté de simplifier la tâche probatoire de l’acheteur.
Différence :
- Dans le cas du garagiste, il s’agit d’un service de réparation ; dans le cas du revendeur, il s’agit d’une information contractuelle liée à la vente.
Mais dans les deux cas, la logique est identique : le consommateur doit pouvoir s’appuyer sans réserve sur la prestation du professionnel.
📉 Conséquences pour les professionnels de l’automobile
L’arrêt du 26 février 2025 change la donne pour les revendeurs :
- Ils doivent désormais effectuer des vérifications approfondies avant de certifier un compteur kilométrique.
- Une simple vérification superficielle ne suffit plus.
- Le risque de litiges et de condamnations est réel en cas de certification inexacte.
Il est donc conseillé aux professionnels de :
- Conserver une traçabilité documentaire (contrôles techniques, factures, historiques d’entretien).
- Refuser de certifier un kilométrage douteux ou incohérent.
- Informer clairement le client de toute incertitude éventuelle.
💰 Conséquences pour les consommateurs
Pour l’acheteur, cette jurisprudence est une véritable avancée :
- Il peut obtenir plus facilement une annulation de la vente pour dol ou vice caché.
- Il peut demander une réduction du prix si le véhicule a perdu de la valeur en raison du kilométrage erroné.
- Il peut réclamer des dommages et intérêts pour compenser son préjudice (par exemple, un véhicule usé plus que prévu).
📊 Exemple concret
Un particulier achète une voiture d’occasion affichant 80 000 km et certifiée par le concessionnaire. Quelques mois plus tard, il découvre via l’historique d’entretien que le véhicule avait en réalité 160 000 km.
Avant l’arrêt du 26 février 2025, il aurait dû prouver que le concessionnaire avait commis une faute, ce qui était très difficile.
Désormais, il lui suffit de démontrer que le kilométrage certifié était faux. Le vendeur professionnel sera automatiquement responsable et devra indemniser l’acheteur ou reprendre le véhicule.
✅ En résumé
- La responsabilité contractuelle du revendeur d’un véhicule d’occasion est désormais assimilée à une obligation de résultat lorsqu’il certifie le kilométrage.
- Le client n’a pas besoin de prouver la faute du vendeur.
- Le seul constat d’un compteur inexact suffit à engager la responsabilité du professionnel.
- Cette solution jurisprudentielle renforce la protection des consommateurs et impose aux revendeurs une vigilance accrue.
Références clés :
- Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732 et n° 20-18.867
- Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712
- Civ. 1re, 26 févr. 2025, n° 23-22.201
❓ FAQ – Responsabilité du revendeur automobile en cas de kilométrage erroné
1. Le vendeur particulier est-il concerné par cette obligation de résultat ?
Non. L’obligation de résultat ne vise que les professionnels de l’automobile. Un particulier reste soumis au droit commun (preuve d’un vice caché, dol, ou erreur).
2. Que puis-je faire si le kilométrage de ma voiture d’occasion est faux ?
Vous pouvez agir en justice pour demander :
- l’annulation de la vente,
- une réduction du prix,
- ou des dommages et intérêts.
3. Dois-je prouver que le vendeur connaissait la fraude ?
Non. Depuis 2025, il suffit de démontrer que le kilométrage certifié est inexact. La preuve de la faute n’est plus nécessaire.
4. Comment éviter ce type de problème lors d’un achat ?
- Vérifiez systématiquement l’historique du véhicule (factures, carnet d’entretien, contrôles techniques).
- Demandez une certification écrite du kilométrage.
- Achetez auprès de professionnels fiables et connus.
5. Un vendeur peut-il s’exonérer en invoquant la fraude d’un ancien propriétaire ?
Non. La Cour de cassation a jugé ce moyen inopérant. Le professionnel reste responsable, car il a certifié le kilométrage auprès du client.